La LEC CRP/1 : La cigale de l’été 1977

Laurent Binon    2005-08-13 00:00:00   

La cigale de l’été 1977.


Sur le papier, elle avait tout pour devenir une F1 d’un niveau honorable. Par un concours de circonstances malheureuses, comme la cigale chère à Monsieur de la Fontaine, la Lec CRP1 n’a pu chanter que le temps d’un été. Avec l’apparition des voitures à effet de sol et du moteur turbo-compressé, l’histoire de la Formule 1 allait basculer dans une nouvelle ère. Avant même d’avoir effectué ses premiers tours de roues, la trop classique Lec CRP1 était déjà obsolète !

Flash back

La saison de F1 1977 est la saison de tous les records quant au nombre de pilotes qui se présentent au portillon de la formule reine. Tout au long de la saison, ils sont soixante deux "furieux" à tenter de placer vingt marques de voitures sur les grilles de départ des dix-huit Grand Prix inscrits au calendrier. Pour éviter un envahissement de terrain généralisé, la FIA et la FOCA instaurent des séances de pré qualification avant chaque Grand’Prix. Exercice inique, car trop court dans le temps, qui sonnera le glas de multiples écuries débutantes à commencer par celui du Lec Refrigeration Racing.

"Racing fridges"

LEC est une marque de réfrigérateurs archi-connue par delà le Channel. Installée à Bognor Regis dans le sud de l’Angleterre, cette usine fabrique des frigidaires industriels et de cuisine. Entreprise familiale prospère, elle était à l’époque dirigée de main de maître par son fondateur Charles R Purley (d’où le CRP de la Lec). Un personnage haut en couleur que celui que la plupart des gens appelaient simplement Charlie et qui avait ses petites et grandes entrées dans tous les endroits "down-town" de Bognor.

Bognor Regis dans le sud de l’Angleterre. C’est ici que se trouvait l’entreprise familiale de Charles R Purley.

British bon teint, il appréciait le sport sous toutes ses formes mais ne vivait pas comme un ascète pour autant. Ses déplacements, il les effectuait en Rolls ou en avion bi-moteur et il saisissait la moindre occasion de faire la fête. Mais ce qui le faisait vibrer le plus c’était d’entendre le God Save the Queen saluer l’exploit sportif d’un compatriote. Pour sa satisfaction personnelle, pour l’honneur de la famille et celui de l’Union Jack Charlie a donc tenu à financer l’ascension de son fils David jusqu’au pinacle du sport auto : la Formule 1.

Amer constat

D’une première expérience de la F1 en 1973, Charlie n’a retiré que des regrets et de l’amertume. L’argent versé à March pour louer le volant d’une 731G a manifestement servi à financer l’écurie officielle au détriment de la préparation de la voiture dévolue au LEC Refrigeration Racing.

March Ford 731G au GP de Zandvoort en 1973.

Charlie a retenu la leçon : désormais Lec sera son propre fournisseur. Pour son retour en F1, il veut superviser la construction de sa propre voiture, une manière comme une autre de s’assurer du bon usage de l’argent investi. Glorieuse époque où il était possible d’acheter tous les composants d’une F1 et de les assembler sur une coque de conception artisanale. En bon gestionnaire, Charlie sait que la réussite de ce projet demande un investissement conséquent aussi, pour se donner le temps de peaufiner son montage financier et de s’assurer que l’intendance pourra suivre, il envoie David faire des piges en F2 au volant d’une Chevron du Team Harper.

En rodage

En 1975, le LEC Refrigeration Racing retrouve le chemin des circuits par le biais de la Formule 5000 européenne ; au volant d’un Chevron B30 équipée d’un moteur Ford six cylindres de 3600cc, David rate de peu le titre qui revient au Belge Teddy Pilette qui pilote une Lola Chevrolet V8 du team VDS. Pour la saison 1976, la Chevron est transformée pour satisfaire au règlement de la formule anglaise ; sa reconstruction s’effectue dans un hangar attenant à l’usine Lec sous la houlette d’un gentlemen effacé qui entre autre a construit la dernière BRM compétitive la P201. Mike Pilbeam, c’est son nom, fait honneur à sa réputation et la B30 métamorphosée permet à David de remporter la bagatelle de huit courses sur les onze à disputer. Titre en poche, le LEC Refrigeration Racing a prouvé son efficacité : c’est le moment de franchir le pas. Charlie accepte de sponsoriser la Lec CRP1 à hauteur de 50.000 Livres et David y ajoute la même somme sortie de sa cassette personnelle.

Par correspondance

Si modifier une monoplace pour la rendre plus compétitive est une affaire, en concevoir une de A à Z en est une autre. Afin d’être prêt pour le début de la saison 77, Pilbeam s’est mis très tôt à la table de dessin, ses premiers traits de crayons ont été jetés sur le papier dès août 76. Depuis Bourne, son port d’attache, il envoie ses plans à Bognor et livre ses instructions aux mécaniciens par fax ou téléphone. Dirigés par Brian Smith (ex Chaparral et Surtees), six mécanos, installés dans des locaux construits en bordure de l’aérodrome privé de l’usine Lec, suivent ses plans à la lettre et petit à petit, la Lec CRP1 prend forme.

GP de Belgique en 1977, en avant plan Patrick Neve N°27 et David Purley qui déboite avec la LEC N°31.

Fin février 77, elle effectue ses premiers tours de roues à Goodwood (désaffecté à l’époque). Les premiers essais officiels ont lieu à Oulton Park avec, aux commandes, David et son pote Derek Bell appelé en renfort. Dès le départ, Pilbeam désire obtenir un comparatif fiable entre les deux museaux de carrosserie prévus. Le premier bulbeux à souhait pour les circuits sinueux ; l’autre avec un aileron "plateau" sur élevé (style Ferrari 312 T) étant destiné aux circuits rapides. A quelques semaines de la Course des Champions de Brands Hatch (hors championnat), la Lec a réalisé des temps honorables ; ils auraient été meilleurs encore si Pilbeam avait construit une coque plus légère. On ne le saura que plus tard, il valait mieux qu’il en soit ainsi !

En piste !

Pour son baptème du feu, la Lec réalise le 14 ème temps des essais à plus de cinq secondes de la pole réalisée par John Watson sur une Brabham Alfa-Roméo. Créditée du neuvième temps en course, la Lec passe sous le drapeau à damier en sixième position. Gonflés à bloc par ce résultat prometteur, le LEC Racing entreprend le déplacement à Jarama pour le Grand Prix d’Espagne ; lors des essais non officiels, David réalise le 14ème temps ce qui l’aurait placé en milieu de grille. Hélas, par la faute d’un différentiel cassé en première série officielle et un moteur explosé en seconde série, la Lec est rejetée de la grille de départ. La course suivante se déroulant à Monaco, où seulement vingt voitures sont acceptées au départ, tout le monde rentre à Bognor pour peaufiner la mise au point de la Lec.

LEC CRP1 à moteur Ford au Grand Prix d’Espagne à Jarama en 1977.

Moment de gloire !

Retour aux affaires en Belgique, à Zolder. David se qualifie facilement en vingtième position à trois secondes et demi de la Lotus à effet de sol de Mario Andretti.

Mario Andretti sur l’avion à effet de sol, la Lotus 78.

Le départ de la course est donné sous la pluie et toutes les voitures sont équipées de pneus pluie ; après dix tours, la pluie cesse et la piste commence à sécher. Toutes les voitures rentrent au stand pour passer les pneus slicks, toutes sauf la Lec car David compte sur le retour de la pluie. Moment de gloire pour la Lec et son pilote : au douzième passage de la ligne, ils sont en tête du Grand Prix ! Position qu’ils ne garderont qu’un demi-tour le temps de se faire passer à la chicane par la Ferrari de Niki Lauda. Un arrêt pneu laborieux par la faute d’un démarreur récalcitrant et au final, la Lec ne sera classée que treizième à trois tours du vainqueur le regretté Gunnar Nilsson sur Lotus 78.

Zolder 1977, David Purley et Gunnar Nilsson sur Lotus 78 sur l’extérieur.

En progrès

En Suède David se qualifie à seulement deux secondes de "l’avion" Lotus, la Lec continue de progresser. Une course à oublier toutefois car un levier de vitesses cassé et de fortes vibrations dans le train arrière relèguent la Lec en quatorzième position, un classement peu flatteur à deux tours du vainqueur Jacques Lafitte sur Ligier. En France, à Dijon (une piste très rapide sur laquelle la Lec est larguée par les F1 modernes), la course de David est on ne peut plus courte. Parti en dernière position de la grille de départ, il ne peut boucler que cinq tours avant de sortir de la route, sur rupture de freins et de s’en aller cueillir des pâquerettes dans le bas-côté herbeux.

"Black Wednesday" !

At home, à Silverstone, le LEC Racing doit faire un bon résultat. L’argent commence à faire défaut et l’arrivée d’un sponsor complémentaire ne serait pas du luxe. David entame les pré qualifications le couteau entre les dents et réalise un temps suffisant pour être retenu au départ ; hélas, une canalisation d’essence desserrée boute le feu au moteur. A grand coups d’extincteurs à poudre (c’est important) les commissaires de piste viennent vite à bout du feu mais, quand la Lec est ramenée au stand, il reste moins d’une heure avant le début des essais officiels. Pas question donc de changer le moteur ! Les mécanos réparent les dégâts au plus vite et débarrassent le moteur de la poudre d’extincteur. Départ de la séance qualificative, David vient juste d’améliorer son temps au tour quand, au freinage de Becketts, la Lec tire tout droit en pleine accélération. Elle couche trois rangées de grillages, sectionne net un rail de sécurité et achève sa course folle dans le talus en billes de bois. Au moment de l’impact final, l’enquête a révélé qu’elle était encore lancée à plus de 200 km/h et que son pilote a subi une décélération de près de 180 G !

La voiture de David Purley après son accident ! Il en est sorti vivant, c’est incroyable.

Grâce à la robustesse de sa voiture (merci Mr Pilbeam) David s’en tire, si on peut dire, avec des jambes fracassées (17 et 13 fractures), un bassin et des côtes fracturées et un grave traumatisme crânien. Pour le sortir de la voiture, les secouristes ont oeuvré pendant plus de cinquante minutes, le temps pour David de faire deux arrêts cardiaques. Quant à la cause du crash, il résulterait d’un blocage en position grande ouverte des guillotines d’admission ; la poudre d’extincteur restant dans le mécanisme s’étant solidifiée au contact de l’essence.

Triste fin

David hors d’état de conduire, la Lec en miettes, Charlie et Mike Earl le team manager du Lec Refrigeration Racing tentent de louer le second châssis construit. Comme il fallait s’y attendre, personne ne voulait miser un penny sur une voiture beaucoup trop conventionnelle à l’heure de l’effet de sol. Et la Lec CRP1 002 d’entamer une longue hibernation dans le hall d’honneur de la LEC Refrigeration Factory tandis que les restes de la CRP1 001 rejoignaient le musée des horreurs du musée de Tom Wheatcroft à Donnington Park.

Après de multiples opérations chirurgicales et une longue convalescence, David a repris le volant de la CRP1 002 le temps de deux courses de Formule Aurora (épreuves réservées, en Angleterre, aux F1 déclassées) à Brands hatch d’abord pour le Holiday Meeting et à Thruxton ensuite. La Lec CRP1 002 ne brilla guère lors de ces deux épreuves : deux abandons sur deux départs ! Et la Lec CRP1 002 de retourner à jamais à sa cure de sommeil !

Laurent Binon.

Epreuve Team Circuit Châssis Concurrent
20/03/77 Race of Champions Refrigeration Racing Brands Hatch Lec CRP1 001 LEC
08/05/77 Grand Premio de España Refrigeration Racing Jarama Lec CRP1 001 LEC
05/06/77 Grote Prijs van Belgïe Refrigeration Racing Zolder Lec CRP1 001 LEC
19/06/77 Gislaved Grand Prix of Sweden Refrigeration Racing Anderstorp Lec CRP1 001 LEC
03/07/77 Grand Prix de France Refrigeration Racing Dijon Lec CRP1 001 LEC
16/07/77 JPS British Grand Prix Refrigeration Racing Silverstone Lec CRP1 001 LEC
15/08/79 Bank Holiday Refrigeration Racing Brands Hatch Lec CRP 002 LEC
06/08/79 Aurora AFX F1 Champ Refrigeration Racing Thruxton Lec CRP 002 LEC

Vos commentaires

  • Le 22 mai 2006 à 16:34, par Gabriel Pirini En réponse à : > La LEC CRP/1 : La cigale de l’été 1977

    ...... Musée : le nom de Mike c’est EARLE, et pas EARL......

    Gabriel Pirini,
    journaliste sport auto
    Agence de Presse KMP

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