Copiloter DAMIEN CHABALLE au RALLYE DU PORTUGAL : ça fait quoi ?
2024-10-13 11:03:11
Rallye du Portugal 2024
7ème... On finit 7ème du Rally Portugal Historico 2024. Une phrase qui, à priori, n’a rien d’extraordinaire. Et pourtant, le terme ne serait pas exagéré.
L’extraordinaire ne vient toutefois pas tant du rang, mais plutôt du verbe : finir. La manière dont Damien et moi sommes passés, la semaine dernière, entre les mailles du filet, relève, en effet, du surnaturel.
Bon, Copiloter Damien Chaballe au Rallye du Portugal Historique... ça fait quoi ?
Ou la genèse de l’équipage qui va aller fumer du bacalhau au prochain Rallye du Portugal Historique.
Je vais donc me retrouver à droite d’un grand nom du rallye. Que dis-je, une légende vivante ! Excusez du peu :
– Damien Chaballe avait le numéro 1 aux Boucles de Francorchamps 1987 (vous pouvez vérifier).
– Damien Chaballe était à égalité avec Vatanen au WRC ranking après le Bandama 1991 (vous pouvez encore vérifier).
– Damien Chaballe a compté jusqu’à l’infini, deux fois (en comptant mes pénalités pour avance).
– Damien Chaballe fait pleurer les oignons (et Chuck Norris).
Bref, je suis très content, mais il va falloir assurer.
Prêts pour le grand crescendo ? Allez, go...
Lundi 23 septembre 2024 - Aéroport de Zaventem.
On se dirige vers le contrôle de sécurité. Une annonce retentit dans les hauts-parleurs, mais la speakerine a manifestement une extinction de voix. Elle abandonne sa tentative après quelques mots.
Damien, avec son style caractéristique, lui conseille à voix haute de prendre un peu de sirop. 30 mètres carrés de rire dans la file.
On passe le détecteur de métaux. Damien est sélectionné par une steward pour un test aléatoire aux explosifs. "C’est normal, je suis une BOMBE !".
2 mètres carrés de rire.
Un agent de sécurité arrive. "Monsieur, il faudrait changer d’humour".
Ainsi commence notre périple au Rallye du Portugal Historique. Le plus renommé, le plus beau, le plus difficile des rallyes de régularité.
J’ai la chance d’y participer avec Damien au sein du Belgian Legend Team, avec Jennifer, Yves, Johnny, Baptiste, Robert, Daniel, Christian et Laurent.
Equipe de choc, il va falloir être à la hauteur.
Le rallye à pour lieu de départ Sintra, haut-lieu du rallye "normal" du Portugal, à quelques kilomètres de Lisbonne. On commande un Uber à la sortie de l’aéroport.
Rui, le conducteur, se présente avec un Dacia Jogger vert et, sacrilège, embarque les Gogolfs (nous) et les Rothglands (Johnny et Baptiste) sous le même toit.
A peine le temps de sympathiser, notre ami s’engage sur une bretelle d’acc- hiiiiii, BOOM.
Il y avait une voiture arrêtée pour laisser passer un piéton. Il y a maintenant quelques piétons de plus. On a fait 500 mètres.
Celle-là, on l’avait pas vue venir. Lui non-prus, au sens plople.
Au passage, ça fait probablement de moi une des seules personnes au monde à avoir froissé de la tôle aux côtés du fils ET du père Delhez. C’est un honneur !
Deuxième tentative avec Luis. On arrive à bon port, cette fois. Tous les amis sont là, on rit déjà. L’ambiance est décontractée, il fait doux et le ciel est bleu. On colle nos derniers lettrages après les contrôles habituels. Damien a imprimé un grand sticker "respeito e coragem aos bombeiros portugueses". Le pays a malheureusement vécu des incendies meurtriers peu avant le rallye. L’hommage est très bien reçu.
Dernières vérifications générales dans mon bureau pour la semaine. C’est bon, on peut aller étalonner.
Avec 2,752 km d’étalon, soit on est à zéro, soit on va ramasser dans les RT de plus 30 km.
Dès la deuxième tentative, un message d’erreur appraît. Sonde droite défectueuse.
Bon, pas grave, on roulera sur la gauche, qui est à zéro. Et si on perd la gauche, on a le module GPS, lui aussi à zéro.
Pas de quoi nous tracasser.
On se retrouve tous pour un dernier resto relax avant la course. Damien fait la connaissance d’un français engagé sur une Renault 8 Major. Première participation.
Damien, sans vouloir lui faire peur, lui annonce qu’ici, on est au Portugal. Avec sa Renault 8, il va déguster. Il va suinter par tous les pores. Il va vivre le grand Carnage Mamé.
Monsieur acquiesse. "Ah bon, d’accord".
Souvenez-vous de lui.
Poignées de main, dernier verre.
Le sommeil arrive, serein. Le stress sera pour demain.
...et pour mercredi.
...et encore plus pour jeudi.
...et cent fois plus pour vendredi.
Pour tout le rallye...
Mardi 24 septembre 2024 - Sintra.
La matinée est détendue, au sortir d’une nuit paisible. On vérifie une dernière fois toutes les moyennes encodées dans le cadenceur. Tout est fin prêt. Plus qu’à attendre 14 heures.
Nous rejoignons la plage de Magoito pour le départ officiel. La vue sur l’Atlantique, du haut du promontoire, est magnifique. Sur place, l’attente est longue. La tension commence tout doucement à monter. Comme quand on faisait la file pour la Turbine, à Walibi.
Un moment de répit, tout de même, quand le speaker annonce le départ de Monsieur de la Saucisse. Robert Vandewurst, avec l’accent portugais. Avec Valentin, ça nous fait bien rire.
Et nous voici, enfin, sous l’arche de départ avec un drapeau portugais sur notre pare-brise.
Quatre, trois, deux, un... Portugal 2024, c’est parti !
On s’élance à travers une haie de spectateurs sur plusieurs centaines de mètres. La pluie fait presque directement son apparition sur la liaison. Il y a déja des voitures qui ratent des intersections anodines. Hahaha, rater des intersections anodines, en fléché-métré, ’faut pas venir au Portugal alors, hein ! Tout cela promet.
Premier RT. Ligne de départ. Cette fois, le stress est palpable. La voiture devant nous s’engage, plus le temps d’y penser.
Quatre, trois, deux, un...
La route défile, elle est détrempée. Après trois kilomètres, une forme orange surgit à droite dans mon champ de vision. Une affiche électorale du CDH ? Non, une Porsche 911 dans le décor, en contrebas.
Puis une autre, out, à gauche cette fois, 100 mètres plus loin.
Ne pas se sortir... Ne pas se sortir, se dit-on en passant à 10 centimètres d’un talus en sous-virant comme des nains dans un sec gauche, pourtant abordé avec précaution. C’était moins une.
Il manquait peut-être ces deux nanogrammes de retenue à la BMW gisant dans les palmiers en sortie de virage. 5 kilomètres, 3 bagnoles aux fraises !
Première bouffée d’adrénaline sur la patinoire portugaise. Mais on s’en sort.
Idem pour les deux RT suivants. On reste sur la route, sans faire d’étincelles sous la pluie. Et c’est très bien ainsi.
On m’avait prévenu qu’au Portugal, il y a un gros point noir : les longues liaisons sur autoroute. Surtout le dernier jour. On ne m’avait, par contre, pas prévenu que c’était presque pire encore le premier jour. C’est de notoriété publique, il suffit de 10 minutes sans action dans le baquet de droite pour me légumifier. Avec 2x75 Km d’autoroute pour rejoindre le dernier RT, autant dire qu’on atteindra vite le stade du compost.
Pour ne rien arranger, je me tracasse d’avoir fait couper un ilot à Damien dans l’RT 4 alors que la branche était barrée. En Belgique, c’est à coup sûr une prise de temps manquante, synonyme d’élimination. En va-t-il de même au Portugal ?
La question me taraude, l’autoroute est longue, il pleut, le ciel s’assombrit. Je me déconcentre. Et cela va se payer cash dans l’RT 5.
Dès le départ, je sens que je ne suis pas dedans. Ca va vite. Je ne jongle plus entre la route, le roadbook, le cadenceur et le GPS. La sentence est imminente.
Au détour d’un gauche sur une nationale, Damien demande : "Je fais quoi ici ?".
Je quitte le cadenceur des yeux, il y a une petite route à droite. Sans même réfléchir, je lui crie d’aller dedans. On fait 20 mètres. C’est un parking !
Travelling compensé, souffle coupé.
On rentre dans le parking à droite alors qu’il est renseigné en tant que négliger droite dans le road-book. Négliger droite en FLÉCHÉ-MÉTRÉ et on est DEDANS.
"Hahaha, rater des intersections anodines, en fléché-métré, ’faut pas venir au Portugal alors, hein !", se dit probablement quelque témoin de la scène.
On repart avec 30 secondes dans la vue et autant de décibels en plus dans les Peltor.
Sur la liaison du retour, je monte dans les tours, persuadé d’avoir signé mon mandat d’extradition vers l’île aux has-been après seulement 10% du rallye.
Damien, sans doute un peu surpris d’avoir dégoté plus haut rupteur que lui, joue la carte diplomatie. Il découvre mon package "signature", le pauvre. Si je me réincarne en Pokemon, ce sera sûrement Ragex. Ou Foirex. Peut-être même les deux.
Il apprend aussi, un peu plus tard, que la Renault 8 est devant nous dans tous les RT, indépendamment de ma méga flingue.
Ah. Euh.
On sait que c’est apparemment pas notre jour, mais là...
On se renseigne. C’est qui, celui-là ?
Michel Badosa, vainqueur du Rallye Monte-Carlo Historique 2019 avec cette même Renault 8 et prêt à vous la mettre toute la semaine, enchanté.
On rentre à Figueira da Foz, ville étape du jour, un peu décontenancé. Christian me réconforte. On a encore rien fait aujourd’hui, absolument rien. Comme si ça ne comptait pas.
"Attends demain".
Et il a, bien sur, tout à fait raison...
Mercredi 25 septembre 2024 - Figueira da Foz.
On repart 21ème sur 68 voitures, avec 63 points. Ca ne ressemble pas de trop à l’élimination appréhendée. Me serais-je encore emballé pour rien, la veille ?
*Tout le monde qui acquiesse, en silence*
Mais, tout va bien, alors !
Cap vers le Nord, le relief s’accentue. On se voit servir notre premier RT "dégustation" dans la campagne d’Oleiros.
130 carottes ne suffisent pas à nos 130 poneys, le cadenceur monte dans le rouge aussi vite que le compte-tours. On ramasse, mais on s’amuse, la sauce commence à prendre. Et, en plus, on grapille déjà quelques places, malgré un tout-droit dans un carrefour serré.
Arrive alors un premier nom légendaire : Arganil. La longue spéciale, 60 km/h de moyenne à flanc de montagne, est somptueuse. Damien fait virevolter la Golf le long des rails. Walter Rohrl nous demande un autographe sur ses lunettes anti-brouillard au TRC, mais Chaballe n’a pas le temps.
Je plaisante, je plaisante...
D’ailleurs, imaginer ce qu’ont vécu tous ces équipages sur ces mêmes routes non revêtues, 40 ans plus tôt, donne le tournis.
On arrive à la course de côte de Montalto. Le tracé est divisé en trois secteurs d’une longueur différente, qu’il faut chacun réaliser en un temps équivalent.
On s’exécute. Premier secteur : 42 secondes.
Je multiplie par deux pour avoir le temps de passage au secteur suivant. Damien s’écrie :
– Notes !
Je m’exécute, écris comme je peux dans la voiture bringuebalante : une... minute... ving-
– NOTES !
– EH, OH ! CALMOS, JE FAIS CE QUE JE PEUX !
– DONNE-MOI LES NOTES !!!
Il me demandait de lui annoncer les virages avec le GPS !!
Deux soupe-au-lait dans la même voiture, cela va-t-il bien tourner ? Bien sur que oui.
On repart. Le rythme change alors brutalement. Le rallye prend une toute autre ampleur. Les liaisons deviennent aussi tendues que les RT. Les villages défilent, tout le monde se tire la bourre dans la moyenne montagne. On arrive 30 secondes avant nos heures de pointage.
Quand je vois une Escort orange devant nous démarrer son RT en travers, pied au plancher, alors qu’on arrive en trombe, c’est la révélation.
Le moment clé ou l’imagination d’avant se concrétise en action de maintenant : Ça y est, j’y suis... je fais le Portugal !!
Au coeur de cette grande foire en flou radial, soudainement, une impression de déjà vu : une Escort Rothmans immobilisée en bord de route. Le pauvre Baptiste est entrain de s’épuiser à pousser la bête, demarreur HS et en panne d’essence quelques minutes plus tôt.
Branle-bas de combat, on sort, on pousse !
Le moteur finit par rugir, on court, ils repartent à fond, on repart à la bourre.
Deux RT plus loin, bis repetita. Rebranle-bas de recombat.
Baptiste est maintenant aussi cramé que le démarreur de l’Escort. "J’en peux plus, je suis vidé", me dit-il avant de pousser une dernière fois.
Ca fonctionne. On repart tous en catastrophe. Cette fois, c’est la bonne.
Clin d’oeil cosmique : sur la page en cours, une des cases du roadbook nous montre la plaque d’agglomération d’un petit village portugais dénommé... Vide.
On rentre à Viseu en 10ème position. Belle remontée, très bonne journée. Clean sheet.
Damien est satisfait, je suis réhabilité. Christian me demande, tout sourire : "Alors, réconcilié avec le Portugal ?".
Il a, bien sur, tout à fait raison. Bon, c’etait bien gentillet tout ça. Demain, on rentre dans le lard.
Jeudi 26 septembre 2024 - Viseu. Réveil à 7h00.
Au déjeuner, on apprend qu’on ne repart pas tout de suite. Ah bon !
On apprend ensuite que des pluies diluviennes ont entraîné des coulées de boue sur certains RT.
Nous voici donc bloqués à l’hôtel pour une durée qui va s’avérer interminable plus qu’indéterminée.
On moisit dans les divans en face du bar.
11h00.
On se fait réveiller au Flügelhorn par une notification Sportity : Départ dans 10 minutes au parc fermé, à 5 minutes de l’hôtel. Publié il y a 3 minutes !!
AAAAAAHHHH.
Ça court dans tous les sens au rez-de-chaussée et dans la rue. Damien me donne les clés, je cavale démarrer la voiture. Il me rejoins, on quitte le parc avec 4 minutes de retard et un road-book de remplacement au format numérique. On slalome dans le trafic matinal, on...
Ah, mais, attend...
Oooh, ça va ! On va à Lousada par l’autoroute. RELAX.
Quelques tours du circuit de rallycross, et on va manger à Fafe. Pas la journée la plus affriolante de la semaine, jusqu’à présent... me serais-je dit si on était pas 35 SECONDES EN RETARD DANS DES CHEMINS DE L’ENFER DÈS LE PREMIER RT DE L’APRÈS-MIDI.
Notre cardiogramme ressemble de plus en plus aux routes elle-mêmes.
Ca monte, ça descend, ça tourne, ça freine, c’est étroit, ça repart, ça glisse, ça tourne encore plus, ça ramasse. Enfin, pour les Golf, en tout cas...
Christophe Baillet, au volant de sa Porsche 911, nous dépasse en mode promenade dominicale.
"Bien urbaine journée, Messieurs, n’est-il pas ?" aurait-il pu nous adresser, civilement.
Le contraste est saisissant.
911 : Douce valse de Chopin.
Golf : DEATH METAL CANNIBAL CORPSE.
911 : Jazz velouté et voix suave.
Golf : POST-GRINDCORE INDUSTRIEL A LA DISQUEUSE DANS LES CYMBALES BLEUUUAAARGGHH
Ce RT de Vizo est terrible. On y laisse des plumes, mais nous ne sommes pas les seuls poulets.
On ne s’en sort pas trop mal, même. Et ça a le mérite de nous réveiller.
Pour nous remettre de nos émotions, nous empruntons une des plus belles routes de montagne du rallye en direction de Lamego, où nous attend la course de côte du jour, après le repas.
Pas grand chose à y gagner, notre demi-journée est faite, et nous sommes satisfaits.
RT honnêtes, pas d’erreurs. On pense même à déjà assurer notre top 10 à la régulière.
On passe à table, le buffet est servi. Il me goûte moins que d’habitude. Un peu de poisson gratiné, de salade et de riz. Ce sera tout.
La course de côte est une formalité, on rentre à Viseu. Le repas me tombe un peu sur l’estomac, par contre. Fromage et poisson, c’était peut-être pas l’idéal.
On prend un dernier verre, d’eau pour moi, et puis on monte au lit tôt.
Car, demain, c’est LE grand jour. LE juge de paix tant attendu/redouté. 700 Km et 13 RT non-stop jusqu’à 2h00 du matin.
Il faut être en forme.
J’ai la nausée.
Il faut absolument être en forme.
Il faut que j’arrive à m’endormir.
Mon bide, tout sourire : Allez, mon gros, on prépare le grand sprint !
Non... non, pas ça. Pas aujourd’hui, pas maintenant.
Si, maintenant.
Médaillé (p)olympique du 8 mètres haies. Mais ni d’or, ni d’argent.
Et je n’ai rien à envier non plus aux chanteurs de post-grindcore industriel. La liaison covalente lit-wc s’effectue, des heures durant, à la fréquence du Cesium 133.
La nuit blanche vient atomiser la nuit noire, impitoyable.
Je gîs, là, en PLS, parti pour les 43 heures d’éveil cadavérique non-négociables qui me seront requises pour rallier l’arrivée, avec toute l’appréhension que cela génère. Je ne le sais pas encore, mais je suis en fait loin d’être le seul dans cette galère absolue. Une trentaine d’autres personnes liées au rallye sont, en ce moment même, entrain d’endurer une intoxication alimentaire avec plus ou moins de sévérité. Alors là, le coup du Jackson Pollock géant, on ne l’avait même pas envisagé lors de nos réunions préparatoires.
Nouveau clin d’oeil cosmique : Lamego, à l’envers, se lit Ogemal. Il a la corde ludique bien huilée, notre ami.
Blague à part, à ce moment là, j’ai pas bon du tout. Ce n’est vraiment, vraiment pas comme ça que j’envisageais la journée la plus difficile du Portugal.
Et ce n’est pas fini.
Vendredi 27 septembre 2024 - Viseu.
24 heures d’éveil. Je suis out, dolzé, pentacramé, NITROVIANDÉ. Impossible de déjeuner.
Heureusement, Damien est sain et sauf.
Joao Martins, le copilote de Paulo Marques, ne sait tout simplement pas repartir. Ils abandonnent alors qu’ils sont 2è au général. Incroyable.
700 km en 19 heures au programme, il va falloir faire preuve d’une résilience en TUNGSTÈNE.
On s’élance. Je suis moribond, livide. J’en ai marre de tout. Damien est prévenu, ce sera le service minimum jusqu’à nouvel ordre.
Un RT après l’autre, c’est tout.
Ça redémarre fort, liaison tendue vers Vouzela, on slalome pour sortir de Viseu.
L’RT est compliqué : de la terre, du brouillard, des ruelles biscornues à n’en plus finir. Un des carrefours en pavés est tellement serré qu’on ne peut épargner à la Vierge dans sa chapelle de faire connaissance avec un de nos phares additionnels. Une Porsche s’y tanque quelques instants plus tard, l’RT est raccourci.
Ça tombe bien, on a passé toutes les prises de temps jusqu’à ce carrefour à zéro.
Scratch au Portugal, Messieurs-dames ! Avec le Chikungunya, s’il vous plaît !!
Enfin, jusqu’à ce que l’RT soit entièrement annulé, liaison jugée non-conforme (et après un appel énervé d’une certaine Marie M.).
Dommage, mais peu importe, pour le moment, il faut survivre.
Un RT après l’autre.
27 heures d’éveil.
Certains RT nous font traverser des villages où des intersections pas toujours hyper-intuitives s’enchaînent à un rythme effréné. A deux reprises, on reste sur le bon chemin sans trop le faire exprès. On ne va pas dire non à un peu de réussite.
On continue. Un RT après l’autre.
30 heures d’éveil.
Un pistolet et un peu de Coca à la pause de midi. Tout mon bassin est ankylosé. Ma dégaine est celle d’un truc cubiste de Picasso sorti de sa toile. Ma tronche est fondue comme une montre de Dali. Stijn me repère et me propose du Motilium. Ça ne peut que faire du bien. On repart.
33 heures d’éveil.
On fait Prestimo au scratch dans ce qu’il reste de forêt calcinée. Le Motilium à l’air de faire effet.
J’en ai toujours marre, mais plus forcément de tout.
On serpente autour du Douro et ses vignobles escarpés. Dans les villages pittoresques à flanc de colline, certaines ruelles en pavés sont aussi étroites que pentues. Même Quintana resterait en bas boire des bières.
36 heures d’éveil.
Sur l’autoroute vers Leiria, une impression de déjà vu : Escort Rothmans à l’arrêt !!
Elle gît sur la bande des secours, moteur cassé. Même si on pousse fort, cette fois, ce sera compliqué. Ils étaient 3èmes. Courage à eux.
37 heures d’éveil.
On arrive à la pause en 7ème position, avec une large avance sur nos poursuivants. Le plus dur, à la régulière, est désormais derrière nous. Je reprends des couleurs. Comprendre : je bouffe des gros quartiers de pizza au buffet !
38 heures d’éveil.
Je revis. Pizza-Motilium, chantez les louanges. On repart, tout sourire. On peut rouler pour assurer, la pression a migré vers les fûts de l’arrivée (croit-on, du moins).
7ème avec 130 bourricots, ça claque, quand même.
39 heures d’éveil.
Longue liaison, on se paye une bonne tranche de rire avec les tribulations de Damien en Côte d’Ivoire. Il est entrain de m’expliquer comment sa Suzuki Swift a failli partir en soleils au milieu des cahuttes quand je remarque une anomalie au cadenceur...
Il n’affiche plus la vitesse !? Tiens...
Je le redémarre, la vitesse revient ! Bizarre.
Tout est bien enfiché. Tous les interrupteurs sont allumés. Tous les témoins sont... euh, le témoin de charge a l’air d’être descendu, là. Alarme du Crisartech, 11.5 Volt dans un logo de batterie.
Travelling compensé, pupilles dilatées. On a un problème électrique. On coupe tout, seuls subsistent les feux de position et le cadenceur. Réflexe de survie : "Appelle René !"
Il est 23h en Belgique, mais René Georges répond. Merci à lui.
Soit c’est la courroie, soit c’est la cosse d’alternateur, soit c’est l’alternateur lui-même.
On vérifie sous un lampadaire, les deux premières options sont écartées.
Le constat s’impose, implacable : Nous sommes sur une nationale isolée au milieu de la nuit, et notre alternateur vient de rendre l’âme. A-t-il mangé du poisson gratiné hier ? Peut-être.
En attendant, à bord... C’EST LA PANIQUE !!!
On peut tenir combien de temps ???
Je ne sais pas !
Il reste combien de kilomètres avant l’assistance ??
Je ne sais pas !!
Stop ou encore ?
Je ne sais pas !!!
11,4 Volt.
On vient d’ajouter l’infrarouge et l’ultraviolet à "passer par toutes les couleurs".
Sans même en prendre la décision, on se dirige vers l’RT de Montejunto.
L’assistance, où nous attendent Jerome, Arnaud et Stijn avec un nouvel alternateur, est à... 150 kilomètres.
CENT CIN-QUANTE KI-LO-MÈTRES !! 11,3 Volts !!!
Damien résume la situation avec brio :
"Ça va être compliqué".
40 heures d’éveil.
Damien me demande de faire en sorte de ne pas trop attendre dans la file de départ du RT.
Compte sur moi ! ...on se présente au Start à la bourre totale, 4 secondes avant notre heure.
11,2 Volt.
On entame Montejunto aux feux de position. On régule plus ou moins, on ne voit rien. RIEN !!
Il y a quelques phares au loin, on dirait qu’il y a un autre rallye.
Comment ? Le rallye du Portugal ?
Ah, peut-être, je ne sais pas, nous on participe au Criterium Gilbert Montagné !
Arrive ce qui devait arriver : on loupe une route. Genre, une nationale, à droite.
On se PERD dans MONTEJUNTO.
Ca n’a AUCUN SENS.
On se catfight, les nerfs sont à vif.
On aurait décidément dû mettre une canne d’aveugle à la calandre...
En effectuant notre demi-tour hasardeux dans l’herbe, on tape le bas de caisse droit.
Tringlerie de porte cassée.
Donc, en plus, si je dois cavaler au CH de Sintra pour aller pointer, le public pourra applaudir ma sortie en grande pompe par la vitre latérale.
On en ressort. Comme des CLOPORTES, mais on en ressort. On prend l’autoroute. 11,1 Volt.
Il reste 90 kilomètres.
Bizarrement, le légume reste full focus, cette fois. On sonne à Jérôme. Si jamais on arrivait jusque là, au conditionel de normand sybillin, ils auront 20 minutes pour remplacer l’alternateur.
Inch’Allah...
41 heures d’éveil.
On est à 100 de tension. Pas un mot dans la voiture, à part mon décompte des kilomètres.
70... 60... 50...
L’angoisse, nappée de silence, atteint son paroxysme.
Des milliards d’années s’écoulent. 11,0 Volt.
40... 30... 20...
Ne pas louper une sortie. 10,5 Volt.
Ne pas louper un embranchement.
10... 5...
...
... et si ?
Si ça allait ? Si on s’en sortait ?
3... 2...
On serre les dents.
1...
Station service sur l’autoroute, l’équipe nous y accueille avec des grands signes.
P*****, on y est !!!!!
ON Y EST !!
ON Y EST !!!
150 BORNES, AVEC RT, DE NUIT SANS ALTERNATEUR... LÉ-GEN-DAIRE.
41 heures d’éveil.
Ca va très vite. En 10 minutes, Stijn, Arnaud et Jérome SAUVENT notre rallye du Portugal.
Ils méritent vos félicitations en commentaires, merci pour eux, MERCI À EUX !!
On repart gonflé à bloc vers Sintra, qui nous accueille dans son ambiance nocturne unique.
La ville est dans la rue, le public est chaud. On trace dans les ruelles inondées de cris sous la lumière jaunâtre pour aller chercher les deux derniers RT.
Et ça passe. À 60 km/h de moyenne entre les murets et les bagnoles des riverains garées n’importe comment.
Plus personne n’a ses frites dans le même sachet à 20 km à la ronde.
Et nous voilà, déjà (on s’est téléporté ?), dans les mythiques épingles de Sintra, dernières centaines de mètres icôniques d’un Rally de Portugal Historico 2024 complètement BARJOT.
42 heures d’éveil.
Tous les amis nous accueillent à l’arrivée. Damien est ému.
On passe le portique : 7éme, c’est officiel.
On se fait l’accolade. C’était incroyable, démentiel, épique.
Pour moi plus qu’un rallye, un rite initiatique.
Absolument unique.
Bon, désolé, mais la 43ème heure... Ragex va la passer dans un sommeil drastique.
MERCI DE M’AVOIR LU.
Il est maintenant temps de retourner dans l’ombre et de plonger le nez dans le guidon en vue du Nationale 4 Classic qui sera aussi, à coup sûr, un authentique distributeur à souvenirs.
On se voit entretemps avec grand plaisir en novembre aux Boucles de Charleroi, un de mes rallyes préférés !
Ciaooo
Texte : Thomas COLLARD
Photos : Photos : Paulo Maria / ACP
Et si vous n’en avez pas Lisez "les Rothglands (Johnny et Baptiste) à Sintra, Portugal"
Et pour "le dessert", après avoir lu l’histoire, voici le film de ce Rallye du Portugal incroyable de Damien & Thomas et Belgian Legend Team !!